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Dictionnaire des curieux (1880)
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Le nombre des fous est infini
C'est la Bible qui dit cela, et la Bible n'a pas tort, car il y a trois mille ans que cette phrase a été écrite, et personne ne songe encore à s'inscrire en faux contre l'affirmation sèche et brutale qu'elle jette à la face des orgueilleux humains.

Pourquoi ce respect pour cette partie du texte sacré, attaqué d'ailleurs jusque dans ses moindres particules ? C'est fort simple; chacun de nous dit : Le nombre des fous est infini... oui, mais il n'y a pas de règle sans exception. — Et chacun pense au fils de sa mère.

Presque toujours on cite cette phrase sous sa forme latine : Stultorum infinitus est numerus.

Elle se prête à des applications très fines, dont voici un exemple :

Un jour, Charles Du Perrier — le neveu de celui auquel Malherbe adressa les strophes si connues — se plaignait à d'Herbelot des critiques dont ses vers étaient l'objet : « Il n'y a, dit-il, que les sots qui n'estiment pas mes vers. » D'Herbolet répondit froidement : Stultorum infinitus est numerus.

Ce Charles Du Perrier avait deux manies dangereuses : celle de faire de mauvais vers qu'il croyait bons, et celle de les réciter de force à tous les gens que le hasard mettait sur son chemin. On raconte même qu'il n'allait à l'église que pour être sûr d'y rencontrer quelque personne bénévole dans l'oreille de laquelle il pourrait insuffler ses rimes, et qui, vu la sainteté du lieu, n'oserait lui crier : Mais laissez-moi donc tranquille ! C'est lui que Boileau a eu en vue lorsqu'il dit :

Gardez-vous d'imiter ce rimeur furieux,
Qui, de ses vains écrits, lecteur harmonieux,
Aborde, en récitant, quiconque le salue,
Et poursuit de ses vers les passants dans la rue.
Il n'est temple si saint, des anges respecté,
Qui soit contre sa muse un lieu de sûreté.

Boileau parlait d'expérience, car, pendant toute une messe, Du Perrier l'avait torturé en lui récitant une ode que l'Académie n'avait pas voulu couronner, s'arrêtant à chaque strophe, à chaque vers, et lui en faisant remarquer les beautés.

C'est ce même Du Perrier qui remporta, en 1681, le prix d'églogue à l'Académie française, sans doute parce que le sujet était de nature à écarter les hommes d'esprit. Voici, en effet, ce sujet plus que ridicule : « Ou croit toujours sa Majesté tranquille, quoique dans un mouvement perpétuel. »

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