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Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées au Canada<

Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées au Canada

PRÉFACE

Il est bien étonnant que dans un pays, non pas seulement séparé, mais oublié de la France depuis plus d'un siècle, la langue française soit restée la langue du peuple; il serait plus étonnant encore que, dans notre isolement, et subissant le contact journalier de la population anglaise, nous eussions échappé au barbarisme. Au Canada, l'industrie, le commerce, les métiers sont, en grande partie du moins, dirigés par des hommes qui ne connaissent pas le français; et pourtant, il faut se comprendre de négociants à commis, de patrons à ouvriers. Etant données ces conditions sociales, on peut admettre à priori que le français canadien est entaché d'anglicisme. Mais entendons-nous sur ce point. Plusieurs écrivains ont parlé du patois canadien. Or, il n'y a pas de patois chez nous; nous parlons le français, et nous le parlons mieux, aux intonations près, que Paris, qui a son argot, mieux que la province, qui a ses patois. Ce qui nous manque, c'est l'articulation, l'accentuation nette, la conduite de la voix, la manière de dire, qui donnent à la langue française ce charme qui nous éblouit quand elle est parlée par un «français de France.» On dirait que nous avons peur d'être expressifs, et voilà la plus déplorable anglicisation que nous ayons subie. Quant à nos anglicismes véritables, on en exagère le nombre; on met au compte de l'anglais bien des mots, bien des locutions qui nous sont venus directement de Bretagne et de Normandie, ou qui appartiennent au vieux langage. Citons comme exemple le mot Acertainer. Il appelle le sourire sur nos lèvres, nous le prenons pour une francisation de l'anglais To ascertain; mais, de fait, c'est le contraire qui est la vérité. François Ier, dans une lettre au parlement de Paris, datée du 9 avril 1526, disait: «Et parce que nous sommes duement acertenés que, etc.» Le mot, du reste, est encore usité en Normandie.

Entendons-nous aussi sur un autre point. Lorsque je dis que nous parlons mieux que Paris, je veux parler du peuple au Canada comparé avec celui de la capitale française. S'il s'agissait de la classe instruite, des lettrés, je soutiendrais une opinion toute contraire; car, chose singulière, dans ce pays, ceux qui ont fait un cours d'études classique et ceux qui n'ont pas dépassé l'école primaire parlent, à quelques nuances près, le même langage. Or, ce langage chez ces derniers est fort distingué, de beaucoup supérieur à celui de la classe sociale correspondante en France; mais chez les premiers, le même langage est, bien entendu, vulgaire. C'est ce qui frappe l'étranger et ce qui nous vaut des critiques dont nous nous offensons.

Le but que je me propose en publiant ce glossaire est donc de montrer la vraie nature des fautes que nous commettons, et d'en alléger d'autant notre langage, s'il est possible.

J'ai certainement fait des omissions, j'ai dû commettre plus d'une erreur; mais, avec le temps, et la critique aidant, je comblerai les unes et je réparerai les autres. Je serai l'obligé de quiconque m'adressera ses observations à ce sujet, soit par lettré, soit par la voie des journaux.

Tel qu'il, est, ce glossaire, contenant un relevé de plus de 1750 mots, peut servir de base à une oeuvre très complète. Il comprend, sauf erreurs et omissions: 1° Les mots du crû canadien, les locutions bonnes et mauvaises qui nous sont propres; 2° les mots que nous employons habituellement et qui se retrouvent dans le patois de quelque province de France; 3° les anglicismes et les expressions vicieuses; 4° l'indication de plusieurs fautes de prononciation qui constituent l'accent canadien; 5° bon nombre de mots très français dont l'usage a été condamné par quelques-uns de nos publicistes.

Il n'est guère question de technologie dans ce travail; je n'ai étudié que notre langue ordinaire et commune. Les mots techniques des professions et des métiers demanderaient un dictionnaire spécial, et je crois qu'un des traducteurs officiels de l'Assemblée poursuit, depuis plusieurs années déjà, une oeuvre de ce genre.

I. On se demande tout d'abord s'il se peut qu'une locution canadienne, non sanctionnée par l'Académie, soit bonne. Je tiens pour l'affirmative.

Supposons que j'amène un des quarante immortels dans la cabane d'une sucrerie, que je fasse de la tire en son honneur, et que je lui demande comment il appelle cette opération. Le dictionnaire auquel il a collaboré ne lui donnera pas la réponse. Et cependant, il faut un mot pour dire la chose; mais la France, ignorant la chose, n'a pu nous fournir le mot: nous l'avons donc créé, c'était notre droit.

Il en est de même de plusieurs autres mots que notre climat et nos conditions spéciales de vie publique ou privée ont fait naître spontanément. Ainsi, nos hivers créent un genre d'existence que la langue française académique est impuissante à décrire; c'est à la langue franco-canadienne que cela est naturellement dévolu. De fait, cette thèse semble reconnue par l'Académie elle-même, qui admet l'expression toute canadienne «Faire portage

II. Nous employons un bon nombre de mots qui, rejetés par l'Académie, nous sont venus toutefois de France; ils appartiennent à quelque patois. On trouvera dans ce glossaire le premier relevé qui en ait été fait.

Au Canada, l'on ne constatera point sans surprise cette ingérence des patois; mais, réflexion faite, on se dira que ce glossaire est bien petit pour une province française, et que, dans son ensemble, la langue académique est vraiment la langue populaire chez nous.

En France, on aimera sans doute à retrouver au sein de nos populations ces vieilles locutions qui datent de Montaigne et de Rabelais, tous ces mots du pays normand, breton, picard, berrichon, qui ne sont pas sanctionnés par l'Académie; mais qui n'en sont pas moins de provenance française. Toutes ces expressions prouvent notre origine; elles sont autant de certificats de nationalité. Aussi je me flatte qu'au point de vue ethnologique, ce travail aura un certain intérêt.

D'ailleurs, je me rappelle un mot de Charles Nodier qui autorise mes recherches: «Si les patois n'existaient plus, il faudrait créer une académie pour les retrouver.»

III. Il en est des anglicismes comme de tous les néologismes; ils peuvent enrichir la langue ou l'appauvrir, selon qu'ils sont faits à propos ou sans nécessité. Puis il y a ceux sortes d'anglicismes, soit qu'on emprunte à l'anglais des tournures de phrase, ou qu'on en adopte certains mots. Quant aux tournures, elles sont, ce semble, toujours condamnables et ne peuvent qu'enlever à la langue une partie de sa distinction, de son originalité; c'est dans les mots seulement que nous pouvons trouver une augmentation de richesse; le secret consiste à les bien choisir.

Ce choix, nous l'avons fait en plus d'un cas d'une manière fort heureuse, et souvent avec plus de discrétion que les Français eux-mêmes. Ceux qui ont assisté aux courses de chevaux en France et qui connaissent le jargon du sport en général admettent sans peine l'exactitude de cette assertion. Pour ce qui est des tournures, la chose est différente. C'est là que nous péchons mortellement tous les jours, en paroles et en écrits.

Et, disons-le, ce glossaire n'est pas destiné à nous corriger tout à fait sous ce rapport. J'ai plus de confiance dans la grammaire bien étudiée, dans les auteurs classiques bien lus.

IV. J'ai parlé plus haut de l'accentuation nette qui nous manque. Il y a aussi certaine manière de prononcer quelques lettres qui donne à notre langage un accent. En matière de prononciation, accent et défaut sont synonymes, et l'accent parisien, pour être plus répandu et mieux, toléré que celui de Marseilles, n'en est pas moins un défaut. Nous avons tous de l'accent. Nous disons: «C'est une abominâtion; Voilà un beau mirouer.» Et nous prononçons le d et le t avec un son sifflant. Mais l'influence active de nos maisons d'éducation a déjà commencé à effacer cet accent et finira par nous en débarrasser complètement.

V. Accoutumance, Quasiment sont des mots que l'Académie reconnaît. Ils ont été néanmoins plusieurs fois dénoncés par des écrivains canadiens. Il m'a paru utile de revendiquer, en même temps que pour plusieurs autres, leur droit de cité chez nous; Nous ne sommes pas tellement riches que nous puissions refuser la vieille monnaie marquée au bon coin.

 

Il reste à nommer les principaux auteurs que j'ai, consultés. Ce sont, pour les patois:

—LE GONIDEC, avec les additions de Villemarqué. Dictionnaire Breton-Français.

—JAUBERT. Glossaire du Centre de la France, 2 vols.

—DU BOIS, augmenté par Travers. Glossaire du Patois Normand.

—ROQUEFORT. Glossaire de la langue Romane, 3 vols.

—GRANDGAGNAGE. Dictionnaire étymologique de la langue Wallonne.

—GÉNIN. Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle.

—RAYNOUARD. Lexique Roman, 6 vols.

—L'ABBÉ CORBLET. Glossaire étymologique et comparatif du Patois Picard.

—L'ABBÉ ROUSSEAU. Glossaire Poitevin.

—TARBÉ. Recherches sur l'histoire du langage et des patois de Champagne, 2 vols.

 

Pour les mots purement canadiens:

—HUBERT LARUE. Mélanges.

—CHAUVEAU. Charles Guérin.

—GÉRIN-LAJOIE. Jean Rivard, 2 vols.

Le Répertoire National, 4 vols.

Les Soirées Canadiennes, 5 vols.

Le Foyer Canadien, 6 vols.


 

Pour les anglicismes:

—L'ABBÉ T. MAGUIRE, V. G. Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, suivi d'un Recueil de locutions vicieuses—Québec, 1847.

—BUIES. Barbarismes canadiens. Articles dans le Pays, en 1865.

—TARDIVEL. L'Anglicisme, voilà l'ennemi.

—GINGRAS. Manuel de locutions vicieuses.

—L'ABBÉ CARON. Petit vocabulaire à l'usage des Canadiens-français.


 

Je dois aussi mentionner un manuscrit que m'a transmis M. Odier, notaire à Sherbrooke, et qui m'a été presque aussi utile que les ouvrages du même genre déjà publiés.

Tous ces travaux ont grandement abrégé mes recherches, et l'on ne doit pas oublier que si le plus difficile est de définir les mots, le plus long est de les trouver ou de s'en souvenir. J'ai donc pris mon bien où je l'ai trouvé: c'est par ce procédé qu'on arrive à compléter un dictionnaire. Je rappellerai—si parva licet componere magnis—que la base des quatre volumes de Littré est une copie presque textuelle de l'Académie.

Espérons que mon oeuvre sera continuée, et que le jour viendra où, ne pouvant plus ignorer nos fautes de langage, nous cesserons d'en commettre.

O.D.


 


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