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RACINE
Ce polisson de Racine !

Dans une comédie intitulée les Brioches à la mode, représentée aux Variétés le 8 juin 1830, MM. Dumersan et Brazier faisaient chanter les couplets que voici :

Que tout soit renversé !
Que tout soit remplacé !
A bas le temps passé !
Racine est enfoncé !

A bas Iphigénie !
A bas Britannicus !
A bas Phèdre, Athalie !
Car on n'en fera plus !

Maître Boileau rabâche,
Corneille est un barbon,
Voltaire une ganache,
Racine un polisson !

(2e tableau, scène IV.)

Cette pièce était une satire assez spirituelle contre la jeune et bruyante école romantique, qui affichait le plus profond mépris pour les classiques, et dont les chefs livraient alors leurs grands combats.

Le docteur Véron, dans ses Mémoires d'un bourgeois de Paris (t. I, 1853, p. 14), désigne un nommé Gentil, directeur du Mercure et employé à l'Opéra pendant sa direction, comme l'auteur de ce jugement célèbre : « Racine est un polisson. »

Ce n'était d'ailleurs pas la première fois que cette épithète était appliquée à notre grand tragique. Une note du Cours de littérature de La Harpe nous apprend que Marmontel se serait rendu coupable d'un semblable blasphème.

« Il passe pour certain, dit-il, qu'il arracha un jour les Œuvres de Racine des mains de Mme Denis, en lui disant : Quoi ! vous lises ce polisson-là ! Je puis au moins attester qu'elle-même racontait le fait. »
(Éd. Didier, 1834,t. Il, p. 480.)

Racine passera comme le café.

On a bien souvent prêté ce propos à madame de Sévigné. Bien qu'elle ait parfois jugé sévèrement Racine, qu'elle mettait bien au-dessous de Corneille, et le café, qu'elle considérait comme échauffant, on ne trouve pourtant dans ses lettres aucun rapprochement de ce genre.

Le 16 mars 1672, à propos de Bajazet, dont elle trouvait quelques endroits « froids et faibles », elle écrivait à sa fille :

« Racine fait des comédies pour la Champmêlé : ce n'est pas pour les siècles à venir. »

Et dans sa lettre du 10 mai 167,6, elle lui disait :

« Vous voilà donc bien revenue du café : Mlle de Méri l'a aussi chassé de chez elle assez honteusement : après de telles disgrâces, peut-on compter sur la fortune ? »

Voltaire, se souvenant de ces deux prophéties également malheureuses, les a ainsi juxtaposées dans le Siècle de Louis XIV, au chapitre des Beaux-Arts
(1751) :

« Madame de Sévigné, la première personne de son siècle pour le style épistolaire..., croit toujours que « Racine n'ira pas loin ». Elle en jugeait comme du café, dont elle dit « qu'on se désabusera bientôt. »

Sur la fin de sa vie, dans la lettre qui sert de préface à la tragédie d'Irène, publiée en 1778, il dit encore :

« Si nous avons été indignés contre Mme de Sévigné, qui écrivait si bien et qui jugeait si mal ; si nous sommes révoltés de cet esprit misérable de parti, de cette aveugle prévention qui lui fait dire que « la mode » d'aimer Racine passera comme la mode du café, » jugez, madame, combien nous devons être affligés qu'une personne aussi instruite que vous ne rende pas justice à l'extrême mérite d'un si grand homme. »

Enfin La Harpe, peu consciencieux dans ses citations, acheva de propager cette légende. Dans son Cours de littérature, commencé en 1786, essayant d'analyser la cause de nos préventions, il disait :

« De là celles de Madame de Sévigné envers Racine, dont elle a dit qu'il passera comme le café. »
(Siècle de Louis XIV, chap. IV, section III.)

Tout ce que nous venons de dire n'est point nouveau : nous n'avons fait que résumer, avec le plus de précision possible, ce qui a été publié sur ce sujet, d'un intérêt d'ailleurs très médiocre.

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