dicoperso.com
Les mots qui restent (1901)
Lien vers le dictionnaire http://www.dicoperso.com/list/10/index.xhtml
Lien vers le terme http://www.dicoperso.com/index.php?a=term&d=10&t=471
MANDARIN
Tuer le mandarin.

On lit dans le Père Goriot, de Balzac, roman qui date de 1835, ce dialogue entre Rastignac et Bianchon :

« — As-tu lu Rousseau ?
» — Oui.
» — Te souviens-tu de ce passage où il demande à son lecteur ce qu'il ferait au cas où il pourrait s'enrichir en tuant à la Chine un vieux mandarin, sans bouger de Paris...»
(Édit. Houssiaux, 1870, 9me vol., p. 411.)

Rastignac était-il bien sûr d'avoir vu cela dans Rousseau, et ne confondait-il pas avec un passage du Génie du christianisme, où Chateaubriand s'exprimait ainsi :

« O conscience ! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? je m'interroge ; je me fais cette question : « Si tu pouvais par un seul désir, tuer un homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ? »

L'autour a beau se torturer l'esprit pour justifier un pareil crime, l'amour du bien l'emporte sur la tentation, et c'est ainsi qu'il démontre la réalité de la conscience.

(Ire partie, livre VI, chap. II : Du remords et de la conscience.)

Une chanson de Louis Protat, intitulée : Tuons le mandarin, évidemment postérieure au roman de Balzac, porte comme épigraphe ces quelques lignes que le chansonnier attribue à Rousseau :

« S'il suffisait, pour devenir le riche héritier d'un homme qu'on n'aurait jamais vu, dont on n'aurait jamais entendu parler, et qui habiterait le fin fond de la Chine, de pousser un bouton pour le faire mourir... qui de nous ne pousserait pas ce bouton et ne tuerait pas le mandarin ?... »

Enfin, MM. Albert Monnier et Edouard Martin ont donné au Palais-Royal, le 20 novembre 1855, sous le titre : As-tu tué le mandarin ? un petit acte dans lequel ils ont reproduit de confiance (scène II) la prétendue citation de Rousseau.

Si donc, comme cela paraît à peu près certain, il y a ici une erreur d'attribution, c'est Balzac qui a été le premier coupable, et c'est de son roman qu'est née la formule : tuer le mandarin, qui n'existe qu'à l'état embryonnaire dans le passage de Chateaubriand.

© 2003 info@dicoperso.com

Powered by Glossword 1.6.4